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Pourquoi le complotisme est-il si important aujourd'hui ? Podcast

Je ne fais pas exception à la règle : dans mon entourage, j'ai vu ces dernières années un certain nombre de personnes s'arrimer à ce qu'on nomme des "théories complotistes".

Si j'ai de l'affection pour ces personnes, je laisse couler tant que leurs propos ne sous-tend pas une pensée raciste ou fasciste. Cela dit, mes interlocuteurs sentent bien mon scepticisme, le désintérêt que je peux avoir et parfois même ma colère rentrée devant ce qu'ils disent. Forcément, nous nous éloignons les uns des autres. Seulement c'est une séparation lente, insidieuse. En quelque sorte, je pratique la démission silencieuse.

Si à l'inverse je n'ai pas d'affection pour les personnes en question, j'écoute ce qu'elles disent pour mieux comprendre ce qui nourrit le discours complotiste en général. Mais je me garde bien de réagir, estimant que je n'ai pas de temps à perdre.

Je dois avouer aussi que je suis sincèrement fatigué de manière générale. Je dois reconnaître que la profusion d'information et d'opinion m'épuise tout autant. Bref, je préfère lire des livres ou des articles bien foutus, me renseigner sur qui je lis ou écoute, plutôt que de rajouter du bruit au monde actuel. De manière générale, j'ai besoin de silence mais ça, j'y reviendrai plus tard, dans un autre billet, qui sera l'occasion pour moi de parler du syndrome de misophonie (à moins que ce soit de la phonobie ou de l'hyperacousie).

Il y a une troisième catégorie de personnes (quelle horreur ce principe de catégories appliquées aux gens dont je fais usage ici) dont je dois composer avec leur conspirationnisme : les rappeurs. J'ai toujours aimé le rap politisé, le rap qui parle du monde au sens planétaire et géopolitique du terme. Je n'y ai jamais trouvé de réponses, ce n'est pas là que je les cherche de toute façon. Mais j'y ai souvent trouvé un formidable terreau d'interrogations. Malheureusement je dois constater que depuis plusieurs années, et encore plus depuis la crise sanitaire du COVID-19, de plus en plus de rappeurs que je trouve pourtant extrêmement talentueux tombent dans des lignes complotistes et injectent une vision du monde dans leurs textes qui à mon sens est erronée. C'est particulièrement prégnant dans toute une sphère du rap dit "indépendant" et je suis démuni par rapport à cela. Démuni car je ne sais pas comment en parler dans le cadre de mon exercice de chroniqueur musical, craignant de mettre une pièce dans la machine et de donner de la visibilité à ces théories. Mais je suis aussi désabusé. Désabusé de voir des rappeurs que je jugeais des porte-voix essentiels abîmer les réalités qu'ils portent en instillant dans leurs textes des éléments erronés et qui trahissent une vision du monde au mieux falsifiée, au pire dangereuse. Pour ceux que ça intéresse, j'ai écrit sur ce désenchantement il y a environ deux ans dans les colonnes de l'Abcdr du Son.

Je suis tombé aujourd'hui sur un épisode des podcasts de Nota Bene consacré au complotisme. Il accueille pendant deux heures Marie Peltier pour balayer ce vaste sujet. L'échange est dynamique, riche, et surtout très sincère intellectuellement. À l'issue des deux heures d'écoute, je ne dirais pas que mon découragement et mon désenchantement ont totalement disparu. Mais cela m'a permis de recharger mes batteries sur le sujet et de regarder les complotistes avec un œil moins passif, plus humain aussi. Bref, ça me les a rapprochés en tant qu'individu, tout en me poussant encore plus dans ma défiance envers les propos qu'ils portent.

Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce podcast est la façon dont Marie Peltier remet en perspective le complotisme, que ce soit dans son histoire ou dans ses ressorts idéologiques et émotionnels. Mais j'ai aussi aimé la façon dont elle pousse les non-complotistes à s'interroger sur eux-mêmes et leurs propres biais, ainsi qu'à faire preuve d'humilité. Enfin, j'ai trouvé très précieux de rattacher tout cela à une défense de la vision du monde, et de l'assumer telle quelle dans son discours. Pour résumer ce dernier point : Si les faits sont évidemment essentiels, ils ne sont qu'une base de dialogue limitée dans un échange avec des personnes défendant (ou sous l'influence) d'une ou plusieurs théorie du complot. Les faits sont l'alpha et l'oméga, mais ils ne sont que rarement une base de dialogue. Le complotisme sous-tend une vision du monde, des opinions. "Nous" devons nous-mêmes être transparents sur nos opinions et les porter solidement face à cela.

J'ai aussi aimé ce questionnement sur le journalisme qui s'impose tout au long de l'épisode, notamment comme quoi le journalisme d'investigation serait le seul et unique "bon journalisme". Entendons-nous bien ici, ce journalisme est essentiel, il n'est pas question de remettre en cause sa pratique ni son existence. Marie Peltier rappelle simplement que la mise en avant de ce journalisme comme la quintessence de l'exercice de la profession repose sur un ressort identique à celui des complotistes : donner le sentiment le monde est fait de vérités cachées. L'idée n'est pas de discréditer ce journalisme, mais plutôt de rappeler que le journalisme que le journalisme est tout aussi essentiel lorsqu'il rapporte des faits qui n'ont rien de caché, mais qui ne sont simplement pas ou peu connus.

Il y a plein d'autres choses passionnantes dans ce podcast. Attention, il dure deux heures et son écoute complète est essentielle. J'en profite pour dire que Nota Bene produit de nombreux épisodes sur un large spectre de sujets, tous touchant à l'histoire. C'est souvent très bien fait, avec sérieux tout autant qu'une bonhommie certaine.

Timelapse du futur

Alors que via un quotidien généraliste et populaire je prenais connaissance d'une nouvelle théorie quant à la formation de la Lune, je suis tombé de fil en aiguille sur cette vidéo.

Je n'ai absolument pas les compétences pour juger de sa pertinence scientifique. De l'aveu même de son auteur, elle repose sur des hypothèses que la communauté scientifique elle-même peut émettre sans être en mesure de les valider. D'après mes recherches, ce film de 30 minutes n'a en tous cas pas été décrié. Il a par contre bouleversé nombre de personnes, qui y ont vu une remise en cause fondamentale de leurs croyances. Je dois bien avouer qu'il y a ici un potentiel certain pour développer une crise existentielle. Mais je crois surtout que ce film est un excellent remède contre la vanité humaine. Et il est très beau, aussi angoissant puisse t-il être.

Yan Lindingre, le Canard l’a tué (blast-info.fr)

Le Canard est un de mes animaux favoris. Il est aussi un journal pour lequel j'ai une profonde admiration. Paradoxalement pourtant, ce n'est pas du tout le type de journalisme qui me fait rêver. J'ai toujours exécré ce journalisme de "carnet d'adresses" et de "réseaux", de "dîners en ville" et de messes basses récoltées et vérifiées derrière une assiette ou un bureau. Mais Le Canard (Enchaîné), je l'aime quand même. Pour sa capacité à taper partout et sur tout évidemment. Pour son côté fouille-merdes et son aptitude à dresser de véritables portraits des coulisses de la politique. Mais je l'aime aussi pour son rubricage malin et piquant. Son format et son impression, presque hors du temps. Son refus du numérique aussi (bien que le journal ait fini par céder à une version électronique). Les plumes acides et pinçantes, les coups de becs bien écrits, et même la petite part d'auto-critique (la rubrique "Pan sur le bec"). Enfin j'aime le Canard pour son prix et son modèle économique. C'est bien connu, le Canard et ses sociétaires sont assis sur un tas d'or, qui garantit leur indépendance. Et ça, ça n'a pas de prix. Que le Palmipède n'ait jamais cédé à la folie des grandeurs, j'ai toujours trouvé ça noble.

Du moins, je le croyais. Car Le Canard ne semble pas exempt de petits arrangements entre amis, du même genre de ceux qu'il aime dénoncer. L'affaire Escaro - du nom de l'un des dessinateurs historiques du journal - a révélé qu'il y avait quelque chose de pourri dans la rédaction du Palmipède. Et l'entretien donné par le dessinateur pigiste Yan Lindingre au magazine Blast fait plus qu'écorner le mythe du journal historique. C'est même édifiant. C'est à lire ici.

J'ajouterai que je reste par contre sceptique aux accusations de dérives réactionnaires du Canard Enchaîné. En vérité, non, je ne suis pas sceptique d'ailleurs. Le Palmipède a une rédaction vieillissante, cela est très juste. Le corollaire est évidemment un propos moins en phase avec la réalité et l'air du temps, les préoccupations d'hier n'étant pas forcément celles d'aujourd'hui. Mais le boulot du Canard, ce pourquoi on l'aime (car même les politiques aiment le Canard, s'ils s'y font épingler un jour, ils savent qu'ils pourront y courir six mois plus tard pour balancer un petit "copain" dont ils souhaitent se débarrasser), ce n'est pas de faire du journalisme social ni d'opinion. C'est de décrire ce que les dirigeants du monde moderne font en coulisses. Quant à moi, j'ai toujours pensé qu'il était plus sain de lire L'Humanité et Le Figaro dans une même journée que de biberonner perpétuellement et uniquement au Monde chaque midi. Bien que je n'ai pas une très grande opinion de moi-même ces derniers temps, s'il y a bien un domaine où je me pense encore un tant soit peu intelligent, c'est dans ma capacité à identifier qui me parle. Mes parents puis mes amis d'enfance ont complété le tout en m'éduquant de sorte à ce que j'identifie les quelques torchons qui ne méritent pas que mes mains les effleurent. Ni même que je prenne le soin de les nommer, que ce soit ici ou ailleurs.

The Collapse of USSR

Incroyable documentaire constitué d'une série de poignants témoignages sur la chute de l'URSS, et plus particulièrement sur la période qui a suivi, le chaos des années 1990 dans le pays. En filigrane, il donne une petite grille de lecture sur le pouvoir russe des années 2000.

Pour ne rien gâcher, ce document est illustré par de nombreuses images de lieux abandonnés, porteurs de la mémoire soviétique laissée à l'abandon. Ces lieux sont notamment repérés par la talentueuse Lana Sator.

L'Europe du XXIème siècle selon Saint-Just

"Nous avons raté la marche. (...) Ce qui peut nous rester d'une vision épique de l'Histoire, ne devrions-nous pas l'enterrer au plus vite si nous voulons vivre heureux au 21ème siècle de notre air et non au 19ème. Verdun, Stalingrad, Hiroshima, Alger, Hanoï, Caracas, des millions de morts, des déluges de souffrances indicibles, dans quel but finalement ? Il m'arrive de penser que notre indifférence au destin collectif, notre repli sur la sphère privée, notre lente sortie de scène, ne sont pas qu'un lâche soulagement mais un épanouissement de la prophétie de Saint-Just : "Le bonheur est une idée neuve en Europe". En conséquence de quoi, il y a plus de sens et de dignité dans des luttes pour la qualité de l'air, l'égalité des droits entre homos et hétéros, la sauvegarde des espaces verts et les recherches sur le cancer que dans de sottes, et vaines, querelles de tabouret sur un théâtre d'ombre." - Régis Debray

Ces mots du philosophe ont été publiés en 2013 dans les colonnes du Monde Diplomatique, sous forme de lettre ouverte destinée à celui qui fut ministre des affaires étrangères jusqu'à 2002. Ils ont été repris ces derniers jours dans un podcast du Monde Diplomatique, consacré à ce qu'il est désormais convenu d'appeler "La crise des sous-marins". Huit ans après avoir été écrites, ces phrases sont une précieuse adresse à l'époque, où l'orgueil occidental, européen puis national continue encore et toujours de ne pas se situer là où il devrait.

Des jouets pas comme les autres

Cela faisait longtemps que je voulais évoquer ces deux séries du photographe Gabriele Galimberti.

La première s'appelle Ameriguns. La seconde s'appelle Toy Story. Et je crois que les confronter l'une à l'autre en dit beaucoup sur le monde dans lequel on vit. Mais également qu'elle exprime ce qu'il se passe parfois entre l'enfance et l'âge adulte.

Ameriguns

Pour la série Ameriguns, le photographe italien est parti du constat qu'aux États-Unis, le nombre d'armes en circulation est supérieur à celui de la population. Il a donc décidé de parcourir le pays pour rencontrer les Américains qui possèdent plus d'une arme. Devant l'objectif du photographe, les "fiers propriétaires" d'armes à feu - pour reprendre les mots de Gabriele Galimberti - posent avec leur collection. Généralement, les armes de guerre sont légions, et quasiment toutes sont automatiques. Il y a ici peu de place pour les armes de collection historiques. Les personnes photographiées par Gabriele Galimberti considèrent les mousquets ou les pistolets d'ordonnance comme bien accessoires.

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L'antiracisme universaliste a abouti sur une impasse

La réalité des violences policières a été plus particulièrement mise en lumière ces dernières années. Ce sujet n'est plus seulement approprié par des activistes, des antiracistes, ou des minorités, bien qu'elles soient les plus largement touchées. Que ce soit grâce à la démocratisation du smartphone et celle des réseaux sociaux, qui facilite l'enregistrement et la diffusion de l'existence de ces violences, ou bien le mouvement des gilets jaunes, la part de la population française consciente que la police peut être un danger mortel a augmenté ces dernières années. Pour ma part, je le sais depuis que j'en ai été victime, et je le raconterai peut-être ici, si toutefois j'arrive, un jour, à m'emparer de mon expérience personnelle avec calme et méthode, chose que je n'arrive toujours pas à faire 18 ans plus tard.

De l'autre côté de l'Atlantique, c'est également un sujet, qui n'a rien de nouveau. Pour les gens de ma génération, le tabassage de Rodney King en est le parfait exemple. Depuis, ça n'a pas empêché les coups et la mort de continuer à pleuvoir aux USA, particulièrement envers la communauté noire. Ces derniers jours, George Floyd est décédé, tué à Minneapolis par un officier de police qui a le profil parfait de la perversité que créé le pouvoir : celui de la violence "légitime" (j'ai beaucoup de choses à dire sur cette expression, mais là n'est pas le sujet).

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Tribune : La Séduction du désastre

Pascal Bruckner n'est franchement pas mon copain, mais comme lire ses ennemis force toujours à travailler ses arguments, j'aime bien les interrogations qu'apporte cette tribune qui relativise un peu la tendance post-apocalyptique, dont je suis pourtant friand en termes artistiques.

Dans une société laïque, le prophète n'a d'autre viatique que son indignation. Il arrive alors qu'enivré par sa propre parole, il s'arroge une légitimité indue et appelle de ses voeux la destruction qu'il prétend récuser. Tel est le renversement : l'Apocalypse devient pour ses partisans notre seule chance de salut. Comme ces réactionnaires qui, dans les années 1960-1970, souhaitaient aux jeunesses européennes une bonne guerre pour les calmer, nos atrabilaires espèrent que nous allons toucher le fond pour nous éveiller enfin. Vous méritez une bonne leçon, vous n'avez pas assez souffert, vous devez en baver ! C'est un véritable voeu de mort qu'ils adressent alors aux populations. Ce ne sont pas de grandes âmes qui nous mettent en garde, mais de tout petits esprits qui nous souhaitent beaucoup de malheurs si nous avons l'outrecuidance de ne pas les écouter. La catastrophe n'est pas leur hantise, mais leur jouissance la plus profonde.

edit : J'ai depuis eu l'occasion de lire les déclarations de Pascal Bruckner à propos de Rokhaya Diallo ou encore Yassine Belattar. Eh bien... Je crois que je me garderai bien à l'avenir de citer la plupart des intellectuels français ayant accès aux médias...

Reportage : France Info, le crack et le nord de Paris

Reportage un peu sensationnaliste et parfois hilarant, alors qu'il traite d'un problème qui n'est pas drôle du tout (et que je connais pas trop mal) : le crack au nord de la capitale.

Une des raisons pour lesquelles c'est drôle, c'est qu'on y apprend que la gentrification a pour motivation de s'endetter vingt-cinq ans pour se persuader de vivre dans le quartier d'Amélie Poulain tout ça pour finir traumatisé par des toxicomanes qui divaguent (au sens propre et figuré) la nuit pendant que les gentils gentrificateurs sont au chaud dans leur lit :

"Dans le 10e arrondissement voisin, la proximité du canal Saint-Martin et le prix du mètre carré ont fait de ce quartier un endroit prisé des CSP+ souhaitant devenir propriétaires. Certains, qui rêvaient d'un quotidien à la Amélie Poulain, tombent de haut. "C'est un quartier mixte, très agréable pour certaines choses, mais je peux vous dire qu'on est loin de l'image idyllique des films quand on est réveillé à 4 heures du mat' par des junkies qui hurlent sous votre fenêtre", raconte Anouck, qui regrette aujourd'hui de s'être "endettée sur vingt-cinq ans" pour acheter son appartement."

Après, certains osent encore se demander pourquoi cette ville se marche de plus en plus sur la tête.